Alors que la baignade pourrait être ouverte au grand public dès 2025 au coeur de Paris, les conditions de marée et la topographie locale semblent laisser peu d’espoir de voir un jour des baigneurs se jeter à l’eau à Rouen. Le sujet, néanmoins, attise les passions comme en témoigne le débat organisé à Rouen le 8 septembre 2023 dans la cadre de Nautilart.
La pratique de la baignade en Seine est aussi ancienne que son interdiction est récente ! D’abord interdite à la fin du XIXe siècle « pour des raisons de bienséance », explique Gabrielle Bouleau, sociologue à l’Inrae-Lisis. elle l’a ensuite été plus restrictivement dès 1923 pour des questions évidentes de sécurité liées, à l’époque, au trafic fluvial autant qu’au développement exponentiel de l’industrie le long des berges. Des « conflits d’usages » qui aujourd’hui encore limitent la pratique des activités de loisir sur la Seine, a fortiori sur le territoire de la métropole de Rouen. Alors si la Capitale a su profiter de l’organisation des JOP 2024 pour procéder à une opération de marketing territorial de grande ampleur, la ville de Rouen a-t-elle les moyens de lui emboiter le pas ?

A l’occasion de l’événement Nautilart le 8 septembre dernier, élus et acteurs du fleuve ont livré leurs arguments et objections à la baignade en Seine. © JAS
Voilà la question à laquelle les acteurs du fleuve (VNF, Haropa port, métropole Rouen Normandie, ARS Normandie, GIP Seine-Aval…) ont essayé de répondre vendredi 8 septembre à l’occasion d’une conférence organisée dans le cadre de l’événement Nautilart. Avant d’aborder le sujet de la baignade, Cédric Fisson (GIP Seine-Aval) a rappelé que la pollution de la Seine avait reculé ces dernières décennies. Un constat « qui se voit dans les prélèvements » alors que le fleuve a longtemps été « un exutoire » pour les rejets agricoles, industriels ou urbains avant une prise de conscience tardive à la fin des années 1970.
Un « cocktail de contaminants » qui rend le fleuve impropre à la baignade
Depuis une vingtaine d’année, la qualité de l’eau stagne et les écosystèmes se régénèrent, explique le chargé de mission qualité de l’eau et transferts de connaissances au sein du GIP Seine-Aval. Le saumon, l’alose, la truite de mer ou encore le phoque ont pris leurs quartiers dans l’estuaire et même plus en amont jusqu’à Rouen. Mais même si la pollution est moindre qu’au siècle dernier, reconnaît le scientifique, il demeure dans le lit du fleuve « un cocktail de contaminants » qui le rend aujourd’hui impropre à la baignade. Sans compter les 100 à 200 tonnes de déchets qui transitent chaque année en direction de l’estuaire.

Amplitude des marées, trafic fluvial et pollution bactériologique sont les principaux obstacles à la baignade dans la Seine. © JAS
Le principal enjeu, confirme Jérôme Le Bouard, responsable adjoint du pôle santé environnement de l’ARS Normandie, « reste la sécurité des baigneurs » dans une section du fleuve où les courants sont permanents et la turbidité importante, les macro-déchets persistants et le trafic fluvial intense. Sur le plan sanitaire, les germes sont également omniprésents et créent des risques de contamination bactériologique « très compliqués à gérer ». Du côté du gestionnaire des installations portuaires, Haropa port, on pointe également les questions de sécurité. Sur le territoire de la métropole « le fleuve n’est à l’étale qu’une à deux heures par jour », explique Xavier Lemoine, directeur de l’aménagement territorial et de l’environnement du port, « et les courants sont très importants, entre 3 et 6 km/h principalement en raison de l’effet de marée ». Conclusion : « si on envisage la baignade dans la Seine, il faudra sélectionner des endroits protégés comme des bassins ou des bras de rivière ».
« La question de la baignade n’est pas une priorité »
Conseiller métropolitain délégué à la Seine et à la biodiversité, Hugo Langlois rappelle que le niveau de la Seine à Rouen « change en fonction de la marée » au point d’atteindre jusqu’à 5 m de marnage (amplitude entre la haute et la basse marée). Sans compter que les échelles disposées « tous les 300 m » sont adaptées aux usages des mariniers mais ne sont pas prévues pour permettre à un baigneur de sortir de l’eau ! Alors pour trouver un site idoine, explique le maire de la commune d’Amfreville-la-Mi-Voie, peut-être vaut-il mieux s’éloigner du centre de la métropole comme le laissent augurer le projet de base nautique de Belbeuf en amont de Rouen ou encore celui d’Elbeuf où la baignade pourrait se pratiquer depuis des berges sablonneuses. Néanmoins, « la question de la baignade n’est pas une priorité », reconnait l’élu métropolitain qui préfère prudemment « attendre de voir comment cela va se passer à Paris. »
Au-delà du cas rouennais le sujet suscite des interrogations chez beaucoup de collectivités, confirme Marie-Noël Riffaut, cheffe du bureau du tourisme fluvial et services aux usagers de VNF, au point que le gestionnaire du réseau fluvial a dû renforcer ses moyens d’ingénierie en la matière. La baignade apparaissant comme un enjeu d’amélioration du cadre de vie. Au final, « il faudra un nouveau cadre réglementaire, reconnaît-elle, mais on ne pourra pas éviter de se poser la question ».