4e Sommet de l’axe Seine (3/3) – Energie : penser local et promouvoir la sobriété

Comment faire de l’axe Seine un territoire davantage autonome énergétiquement ? Autour de cette question, les participants à la table-ronde consacrée à l’énergie ont débattu des propositions des groupes de travail en amont du 4e Sommet de l’axe Seine articulées autour de trois piliers : favoriser l’énergie locale et non-délocalisable, travailler sur l’acceptabilité sociale des projets et promouvoir la sobriété.

Le territoire de la vallée de la Seine dispose d’un potentiel important d’énergies renouvelables, a rappelé Frédéric Moulin, en introduction de la table-ronde consacrée à l’énergie. Mais « c’est aussi un espace qui accueille des grands systèmes industriels mondialisés qui renvoient à des enjeux énergétiques qui ne peuvent pas être pensés qu’à l’échelle locale », a ajouté le délégué territorial Val-de-Seine de GRTgaz. Il faut donc, selon lui, intégrer ce potentiel de production locale – électrogazéification, méthanisation… – dans une approche plus globale.

Dans la salle de la Maison de l’Océan, lors du 4e Sommet de l’axe Seine le 10 octobre. © Anh de France

Le développement des énergies renouvelables à l’échelle locale nécessite par ailleurs de disposer de foncier. A ce titre, la reconversion des friches est un enjeu stratégique, a relevé Jérémie Almosni, directeur régional de l’Ademe Ile-de-France, soulignant que 50 000 ha seraient mobilisables sur le territoire. Un potentiel qui ne demande qu’à être valorisé, sachant, comme l’a indiqué Pierre-Yves Dulac, directeur régional délégué Ile-de-France d’Engie, à propos d’un projet « bien avancé » de ferme photovoltaïque de 56 ha à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), qu’« un mégawatt solaire, c’est un hectare et un million d’euros d’investissements ».

Frédéric Moulin, délégué territorial Val-de-Seine de GRTgaz. © Anh de France

Jérémie Almosni, directeur régional de l’Ademe Ile-de-France. © Jgp

Pierre-Yves Dulac, directeur régional délégué Ile-de-France d’Engie. © Jgp

Face à ce double objectif de mobiliser du foncier et de tendre vers la neutralité carbone, TotalEnergies a pour sa part engagé la transformation d’un dépôt pétrolier à Aubergenville (Yvelines). « Nous avons mis en place la plus grande centrale photovoltaïque d’Ile-de-France, a présenté Elisa Coeuru, directrice régionale Ile-de-France de TotalEnergies. Nous avons par ailleurs sur le site un projet de méthaniseur et, demain, les anciennes cuves de pétrole serviront à accueillir le carburant produit à partir d’huiles alimentaires usagées et de graisses animales et destiné au secteur aéroportuaire ».

Elisa Coeuru, directrice régionale Île-de-France de TotalEnergies. © Anh de France

Penser le mix énergétique

Outre la production, l’enjeu du foncier et des infrastructures est également important pour les réseaux, a quant à lui signalé Vivien Molinengo, responsable affaires publiques Ile-de-France de RTE : « Quand on regarde la zone du Havre ou celle de Port-Jerôme-sur-Seine, on est sur des zones encore beaucoup émettrices de gaz à effet de serre avec une consommation majoritairement carbonée mais qui ont engagé une transition vers la décarbonation, notamment à travers l’électrification de leur process industriels. Cela nous amène à penser que les consommations électriques sur cette zone vont être doublées, voire triplées du fait de cette reconversion et, derrière, cela nécessite que les réseaux puissent répondre à ces nouveaux besoins. Pour anticiper ces derniers et dimensionner au plus juste les réseaux, il y a aussi tout un travail à mener avec les parties prenantes ».

Vivien Molinengo, responsable affaires publiques Ile-de-France de RTE. © Anh de France

Il va par ailleurs falloir être en capacité d’intégrer massivement les ENR, a indiqué Frédéric Courault, directeur délégué grands projets Ile-de-France d’Enedis : « On sait que l’électricité aujourd’hui, c’est 25 % de l’énergie en France et que, en 2050, ce sera au minimum 55 %. Ce qui va nécessiter de raccorder chaque année 5 GW, sachant que nous en avons raccordés 3,7 en 2022, qui a été une année record ». Autre travail d’anticipation à mener : celui du mix énergétique. Car « il faut éviter de tomber dans un mix impensé, a prévenu Frédéric Moulin. En Vallée de Seine, une grande partie des process industriels vont être très difficiles à électrifier et si en 2050 l’énergie sera à 55 % électrique, les 45 % restant ne sont pas pensés ».

Changer le récit de la transition énergétique

Autre sujet abordé, la question de l’acceptabilité sociale des projets d’énergie renouvelable par les citoyens. « La méthanisation est plus simple à mettre en œuvre à certains endroits qu’à d’autres », a observé à ce titre Daniel Guiraud, vice-président de la métropole du Grand Paris délégué à la transition écologique, à la qualité de l’air et au développement des réseaux, citant le projet d’usine de méthanisation porté par le Syctom à Romainville (Seine-Saint-Denis) qui a dû être abandonné en raison du rejet de la population.

Daniel Guiraud, vice-président de la métropole du Grand Paris délégué à la transition écologique, à la qualité de l’air et au développement des réseaux. © Anh de France

C’est souvent l’intégration paysagère qui fait obstacle, a confirmé Jérémie Almosni, d’où l’importance, dans l’accompagnement des projets, de « bien prendre en compte la réalité sensible du territoire qui est en jeu » mais aussi de « réinventer la place du citoyen, une des clés de voûte qui permettra l’adhésion ».

Vivien Molinengo, de RTE, a quant à lui signalé la nécessité de privilégier « une approche par les récits pour construire cette acceptabilité et cette désirabilité des différents scénarios de transition ». Rebondissant sur cette question du récit, Frédéric Moulin a estimé qu’il fallait trouver d’autres moyens pour expliquer comment le développement de filières locales d’énergies contribuait concrètement à la transition écologique, prenant l’exemple de de la filière méthanisation : « la moitié des bus d’Ile-de-France mobilités vont bientôt rouler rouler avec du biogaz produit dans la région. Si plutôt que d’afficher “100 % biométhane” sur un bus, on écrit qu’il roule grâce à du gaz produit en Ile-de-France, le récit n’est pas tout à fait le même ».

Dépasser le stade de la sobriété conjoncturelle

Un travail de pédagogie également à développer s’agissant de la sobriété, pour que celle-ci soit mise en œuvre au quotidien, pas seulement de façon conjoncturelle comme l’hiver dernier pour faire face à la flambée des prix de l’énergie et au risque de saturation des réseaux lors des pics de froid, ont relevé les intervenants. S’agissant des collectivités locales, Enedis leur a dédié un portail leur donnant accès à leur consommation et à leur compte de charges, a illustré Frédéric Courault : « On sait qu’à partir du moment où on regarde ses consommations on va les baisser de 10 %. Après on leur propose aussi des services, par exemple d’éteindre l’éclairage public pendant la nuit. »

Frédéric Courault, directeur délégué grands projets Ile-de-France d’Enedis. © Anh de France

Sur la question de la sobriété, il y a un vrai changement de paradigme, constate Vivien Molinengo : « en 2021, quand on a sorti notre étude sur les scénarios permettant d’atteindre la neutralité carbone en 2050, la sobriété était présentée comme facilitatrice pour atteindre la neutralité carbone. Aujourd’hui, la sobriété est mise au même niveau que l’efficacité énergétique ou le développement des énergies décarbonées, c’est un levier qui doit être rendu essentiel ». Ce qui passe par des changements culturels, organisationnels, plus profonds, « qui sans doute nécessitent plus de temps à engager, avec l’appui de politiques publiques pour accompagner leur mise en œuvre ».

A la question de savoir si la sobriété imposée de l’hiver dernier est en passe de se transformer en une sobriété davantage choisie, Daniel Guiraud s’est montré dubitatif: « il reste beaucoup de chemin à faire pour dépasser le stade de la perception de la sobriété seulement conjoncturelle. Or la sobriété c’est un élément pérenne de la transition écologique », a souligné l’élu, qui a annoncé la parution prochaine d’un guide sur la sobriété réalisé par la Métropole avec le concours de l’Ademe et d’autres institutions. Un guide à l’attention notamment des élus, dont il a également été rappelé le besoin de formation pour qu’ils maitrisent et comprennent les enjeux de la transition énergétique. « C’est très important, a insisté Daniel Guiraud. Et cela doit se faire rapidement car le temps nous est compté : si on veut arriver à la neutralité carbone en 2050, il faut intensifier la concertation, la formation et puis y aller », a exhorté le vice-président de la Métropole.

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