5e Sommet de l’axe Seine (1/4) – Les industriels engagés dans la décarbonation

Le journal du Grand Paris et Le journal de l’Axe Seine organisaient le 8 octobre dernier à Paris le 5e Sommet de l’Axe Seine en partenariat avec la métropole du Grand Paris. Première partie du compte-rendu d’une journée d’échanges autour des trajectoires de décarbonation de la vallée de la Seine.

Les acteurs du développement de la vallée de la Seine étaient réunis le 8 octobre à Paris pour évoquer les réalisations en cours et surtout les défis à venir, tant pour les industriels que pour les professionnels du fluvial. Dans un contexte marqué par l’opposition affirmée de la région Ile-de-France au projet de Ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN) et les menaces que cette décision fait peser sur l’adoption du prochain Contrat de plan interrégional (CPIER) avec son voisin normand, le délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine, Pascal Sanjuan, s’est voulu confiant sur le fait que « le travail accompli trouve son aboutissement bientôt ». S’agissant de la LNPN, il a dit comprendre « les réactions en Ile-de-France au démarrage de la concertation » et concédé la nécessité « de questionner la méthode » pour permettre à ce projet d’aboutir. Car, « au final, les besoins existent… même s’il ne suffit plus de dire que ce projet est nécessaire », a constaté le préfet. Il faut désormais « l’objectiver ». En gardant à l’esprit, a rappelé Pascal Sanjuan, que les perspectives de progression des trafics conteneurs du port du Havre en lien avec les annonces d’investissement de l’armateur MSC [plus d’1 milliard d’euros, ndlr] impliquent « d’augmenter la capacité ferroviaire dans la vallée de la Seine », sous peine de voir quelque 3 millions de conteneurs prendre la route chaque année pour rejoindre l’Ile-de-France.

Pascal Sanjuan, délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine; en ouverture du 5e Sommet de l’Axe Seine. © Anh de France

Un territoire propice à la décarbonation

Sur le terrain de la décarbonation, a-t-il souligné, les réalisations attestent d’une réelle prise en compte de l’enjeu par les industriels eux-mêmes. Et dans cette optique, l’hydrogène décarboné a incontestablement un rôle à jouer. A condition, toutefois, de faire drastiquement évoluer ses méthodes de production. Actuellement en effet, « le rapport entre la consommation d’hydrogène et l’émission de CO2 est de 1 à 10. Autrement dit, lorsque l’on consomme 500 000 t d’hydrogène par an, on émet 5 millions de tonnes d’équivalent CO2″, a rappelé Laurent Tricot, directeur coordination régionale de TotalEnergies. Or les usages de l’hydrogène sont amenés à s’élargir. Aujourd’hui, il est largement utilisé dans l’industrie : pétrolière, dans les raffineries, chimique pour la fabrication d’engrais, et métallurgique, notamment.

Laurent Tricot, directeur coordination régionale de TotalEnergies. © Anh de France

Cécilia Fouvry-Renzi, directrice des affaires publiques d’Air liquide. © Anh de France

Demain, il servira aussi à propulser certains poids lourds et bateaux. « En 2050, il représentera 20 % de la demande d’énergie », a assuré Cécilia Fouvry-Renzi, directrice des affaires publiques d’Air liquide. « L’enjeu est donc de le décarboner », a poursuivi le représentant de TotalEnergies. Pour ce faire, deux méthodes existent : la première consiste à capter le CO2 émis lors de sa production, puis à l’utiliser à d’autres fins ou à le stocker. Tel est l’objet, entre autres, du projet Eco2-Normandy porté par Air liquide, TotalEnergies, Lat Nitrogen, Esso SAF, Yara International et Haropa port qui vise à développer une infrastructure de captage du CO2 dans le bassin normand, puis d’organiser son transport vers un stockage définitif en mer du nord.

La seconde méthode, « de loin la plus vertueuse », a noté Laurent Tricot, est l’électrolyse de l’eau, du moins si elle se produit grâce à une électricité décarbonée. « Le problème est qu’on ne sait pas encore très bien la réaliser à échelle industrielle et son coût est trois à cinq fois supérieur à celui du coût de production par les méthodes classiques ». Air liquide, toutefois, s’est lancé dans l’aventure avec la construction sur son site normand de Port Jérôme d’un électrolyseur de 200 MW, baptisé Normand’hy. « Cela sera le plus grand en Europe, qui pourra fabriquer 28 000 t d’hydrogène par an et éviter ainsi l’émission de 250 000 t de CO2 », a détaillé Cécilia Fouvry-Renzi. L’électrolyse, aujourd’hui, affiche des coûts relativement élevés a-t-elle reconnu, mais « c’est en travaillant sur de gros projets et en fédérant les usages qu’on arrivera à les rendre compétitifs. Toutefois, nous avons besoin, au début, du soutien de la Région, de l’Etat et de l’Europe ».

Valoriser le CO2 capté

De l’hydrogène, Engie entend également en produire dans quelques années au Havre, grâce à un électrolyseur de 110 MW. Mais celui-ci ne sera destiné ni aux industriels ni aux véhicules lourds : il doit servir, en combinaison avec du CO2 capté, à la production de 70 000 t annuelles de e-kérosène, qui pourrait remplacer son équivalent fossile comme carburant aérien et serait acheminé par pipe vers les aéroports franciliens. Tel est le principe de la méthanation et du projet KerEauZen porté par l’énergéticien. KerEauZen est un complément naturel de son autre grand projet, Salamandre, qui s’installera sur le même site. Celui-ci consiste à fabriquer du gaz de synthèse par pyrogazéification : « nous allons chauffer à plus de 800° et sans oxygène 70 000 t de déchets par an, composés à 70 % de déchets de bois (cagettes, mobilier, restes de chantier…) et à 30 % de CSR (combustible solide de récupération, autrement dit, les refus de tri). Cela produira ce que l’on appelle le syngas, qui est un mélange de CO2, de méthane et de chaleur , a expliqué Pierre-Yves Dulac, directeur délégué régional Ile-de-France d’Engie. La chaleur sera utilisée par les industriels voisins ou le réseau de chaleur de la ville, le méthane alimentera les bateaux de CMA-CGM. Quant au CO2, il servira, donc, à KerEauZen. « Salamandre représente un investissement de 205 millions d’euros et devrait être finalisé, si nous obtenons quelques subventions, d’ici à 2028. Quant à KerEauZen, l’investissement pourrait friser le milliard », a conclu Pierre-Yves Dulac.

Pierre-Yves Dulac, directeur délégué régional Ile-de-France d’Engie. © Anh de France

Les réseaux, vecteur de la décarbonation

La pyrogazéification est l’une des technologies d’avenir pour la production de gaz vert, a de son côté estimé Frédéric Moulin, directeur territorial Paris de GRDF, le réseau de distribution du gaz. Or, a-t-il rappelé, « notre objectif est de transporter 100 % de gaz vert en 2050, cette proportion devant atteindre 45 % en 2035 et 20 % en 2030″. Un pourcentage, toutefois, qui suppose, parallèlement, une poursuite de la baisse des consommations. D’ores et déjà, une centaine d’unités de méthanisation, essentiellement agricoles, sont en service dans les deux régions Normandie et Ile-de-France. Sur la seule vallée de la Seine, une trentaine environ fonctionnent. « Mais elles sont plus diverses : on y trouve aussi des installations utilisant les boues d’épuration et des projets importants de valorisation des biodéchets, comme celui du Syctom et du Sigeif à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), ou encore Cometha (Siaap et Syctom) visant à valoriser conjointement les eaux usées et les biodéchets, et, bien sûr, Salamandre (pyrogazéification) ». Des développements d’autant plus bienvenus qu’un récent baromètre réalisé par GRDF montre « que 75 % des Franciliens ont une image favorable du gaz vert et que 80 % sont prêts à accepter une unité de méthanisation à proximité de leur résidence », a conclu Frédéric Moulin.
Catherine Bernard et Guillaume Ducable

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