L’Axe Seine, creuset de la transition écologique et énergétique

Le 3e Sommet de l’Axe Seine organisé par Le journal du Grand Paris et le journal de l’Axe Seine s’est tenu le 18 octobre à Paris dans l’amphithéâtre du ministère de la Cohésion sociale. Un événement centré sur les enjeux de la transition écologique et énergétique dans la vallée de la Seine, à l’heure où se dessine le prochain CPIER qui déterminera les engagements de l’Etat sur ce territoire partagé entre la Normandie et l’Ile-de-France.

Favoriser le développement économique du territoire tout en préservant ses atouts écologiques, voilà résumée la feuille de route de la Vallée de la Seine pour les décennies à venir, selon Pascal Sanjuan. Partagé entre la Normandie et l’Ile-de-France, l’axe Seine ne manque pas d’atouts pour mener à bien la nécessaire transition écologique dont le gouvernement a fait une priorité, explique le délégué interministériel au développement de la Vallée de la Seine, à condition de veiller à ce que ce territoire ne devienne pas « une réserve indienne » où tout projet serait bloqué au nom du zéro artificialisation nette (ZAN).

De g. à dr. : Antoine Berbain (Haropa port), Dominique Ritz (VNF), Max Yvetot (AURH), Jacques Paquier (JGP), Abdelkrim Marchani (SNCF réseau), Virginie Carolo-Lutrot (région Normandie) et Pascal Sanjuan (DIDVS). © Jgp

Certes, l’activité dans la Vallée de la Seine représente aujourd’hui jusqu’à 35 % du PIB national et près d’un emploi sur six dans la pays. Mais le rythme de destruction des emplois industriels reste plus rapide qu’ailleurs, souligne Pascal Sanjuan, qui évoque une chute de « – 50 % entre 1990 et 2017 ». Sur le terrain portuaire, l’établissement récemment fusionné entre Anvers et Zeebrugge affiche 12 millions d’EVP (conteneurs équivalent 20 pieds) juste derrière Rotterdam et ses 15 millions d’EVP. Très loin devant les 3 millions traités au Havre en 2021…

Pour résoudre ces équations complexes, l’Etat et les régions Ile-de-France et Normandie travaillent à l’élaboration d’un schéma stratégique de la vallée de la Seine dont la déclinaison opérationnelle prendra la forme d’un nouveau CPIER (contrat de plan interrégional). Un contrat que le vice-président de la région Ile-de-France, Jean-Philippe Dugoin-Clément, espère voir se concrétiser avant l’été 2023. Du point de vue francilien, explique-t-il, quatre enjeux majeurs émergent : « il faut étendre le périmètre du CPIER à l’ensemble de la vallée de la seine y compris ses affluents ; il faut s’assurer de sa cohérence avec les schémas d’aménagement régionaux (Sraddet en Normandie et Sdrif en Ile-de-France) ; intégrer la question de la désorganisation des chaines logistiques née de la crise sanitaire ; et assurer la poursuite des investissements, notamment dans les infrastructures de transport ».

Le préfet Pascal Sanjuan, délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine. © Jgp

Virginie Carolo-Lutrot. © Jgp

Antoine Berbain. © Jgp

Côté normand, la vice-présidente du conseil régional Virginie Carolo-Lutrot insiste quant à elle sur le fait que les travaux engagés depuis 15 ans portent leurs fruits, citant « des implantations en masse », notamment sur le territoire de Caux Seine Agglo dont elle est la présidente et où le groupe Eastman prépare l’implantation d’une usine de recyclage de plastique avec près de 800 millions d’euros d’investissements à la clé. Sur le précédent CPIER, « la région Normandie a joué son rôle », rappelle l’élue, en abondant à hauteur de 222 millions d’euros sur le volet mobilité d’un contrat portant au total sur 532 millions. Mais désormais, elle se dit « inquiète que le prochain CPIER bloque sur la question du ZAN ! » Car la question du foncier disponible est plus que jamais est au cœur du développement du territoire.

« Une vision partagée et un plan de financement »

A quelques semaine de prendre ses fonctions de directeur du port de Rouen, le représentant de VNF Dominique Ritz, rappelle que le CPIER a également permis « de booster la nécessaire régénération » des ouvrages parfois anciens qui jalonnent la Seine, notamment sur sa partie aval entre le barrage de Poses (Eure) et l’estuaire. Le fleuve et les ports sont donc un élément clé d’un territoire sur lequel le CPIER offre « une vision partagée et un plan de financement », résume le directeur général délégué de Haropa port, Antoine Berbain. Dans son projet stratégique, l’ensemble portuaire de la Vallée de la Seine a ainsi prévu un programme d’investissement de 1,3 milliard d’euros qui s’appuie sur le développement de la multimodalité autant que sur l’offre foncière en direction des industriels et des logisticiens.

Dominique Ritz. © Jgp

Sans attendre le prochain CPIER, Haropa port s’apprête à déposer dès novembre sur le bureau des institutions européennes compétentes le dossier de Port Seine-Métropole Ouest, le premier projet de création d’un port fluvial en France depuis 1970. Quant à la « chatière », la liaison fluviale entre les terminaux havrais de Port 2000 et le canal du Havre qui relie la Seine, Antoine Berbain annonce une enquête publique à venir dès le 7 novembre prochain. Au-delà, assure Pascal Sanjuan, « l’Etat aidera tous les projets de substitution aux flux pétroliers, tous ceux concernant le verdissement des engins manutention et des bâtiments portuaires, l’électrification des quais et l’implantation d’activité moins émettrices de gaz à effet de serre sur les ports ».

Le rôle clé de l’aménagement du territoire dans la transition écologique

A l’occasion d’une seconde table ronde portant sur l’aménagement et le tourisme durables, la directrice adjointe de l’EPF d’Ile-de-France, Gaëlle Brosse-Arriagada, rappelle que des outils existent, tels que le fonds friche, « pour relever le défi du ZAN ! » La région Ile-de-France et l’Ademe ont d’ailleurs lancé des AMI pour accélérer certaines opérations de requalification dont l’équilibre économique est souvent fragilisé par les surcoûts des travaux de dépollution et de déconstruction. Pourtant le potentiel existe avec un véritable « chapelet de friches le long de l’axe Seine ». La responsable de l’EPF cite notamment le site de l’ancienne cimenterie d’Aubergenville (Yvelines) qui doit laisser place à un ensemble de 200 logements, une résidence seniors et des activités commerciales. Un chantier exigeant du fait de sa proximité avec une zone pavillonnaire.

De g. à dr. : Fabienne Proux (Jgp), Gaëlle Brosse-Arriagada (Epfif), Gilles Le Gal (EPF de Normandie) Philippe Rouleau (maire d’Herblay) et François-Marie Didier (Siaap). © Jgp

François-Marie Didier, président du Siaap. © Jgp

En Normandie, l’EPFN s’est saisi de l’outil fonds friche dès le milieu des années 1990, rappelle son directeur Gilles Gal. Une nécessité sur un territoire victime d’une forte désindustrialisation. La Région a renouvelé cette année sa contribution à hauteur de 100 millions d’euros auprès de l’établissement pour soutenir le maximum de projets. Sur la période précédente, confirme Gilles Gal, près de 400 ont ainsi pu bénéficier de ces fonds. Vice-président du conseil départemental du Val d’Oise dont il est le représentant au sein de l’Association des départements de l’Axe Seine, Philippe Rouleau met pour sa part en garde sur la question de l’acceptabilité de ces projets comme sur celle « des usages qui s’opposent », évoquant « les nuisances du fret fluvial » qui peuvent soulever l’opposition de certains riverains.

Du côté du Siaap, le syndicat de traitement des eaux usées de près de 9 millions de franciliens, François-Marie Didier rappelle que cette activité, largement méconnue des riverains des six usines de traitement du territoire, « permet de reverser une eau propre dans la Seine ». Un enjeu qui fait écho au « plan baignade » dont l’atteinte des objectif aura, prévient-il, « un impact sur le coût pour le grand public ».

Pour renforcer l’acceptabilité de ces projets de développement, la directrice de l’Ecole nationale supérieure de paysage de Versailles Alexandra Bonnet milite pour « une sensibilisation plus grande du public et de ceux qui fabriquent le territoire ». « Faire l’école hors les murs pour mieux faire comprendre que les paysages évoluent et qu’ils ont toujours évolué ! »

Le défi de la cérémonie des JOP 2024

Autre sujet phare pour les deux ans à venir, l’organisation de la cérémonie d’ouverture des JOP 2024 avec la Seine pour théâtre promet d’être « un vrai défi logistique », estime Morgane Sanchez, directrice de l’agence Paris Seine au sein d’Haropa port. Une occasion à saisir pour accélérer le verdissement des flottes sur le bief parisien. « Nous travaillons depuis la phase de candidature autour de la Seine », rappelle l’adjoint à la maire de Paris chargé des sports, des JOP et de la Seine, Pierre Rabadan. « L’idée du comité d’organisation était alors de sortir cette cérémonie des stades ». Résultat des courses, on attend près de 600 000 spectateurs le long du parcours « dont 100 000 payants sur les quais bas et les ponts », ajoute l’élu.

Morgane Sanchez (Haropa port) et Pierre Rabadan (ville de Paris). © Jgp

Pour le président de la Communauté portuaire de Paris (CPP), Olivier Jamey, « c’est un rêve de gosse pour chacun d’entre nous car nous allons faire partie de l’événement ». Mais au-delà, il s’agit de profiter de l’impact « sur le temps long » de ces JOP. L’événement et les investissements qu’il induit doivent jouer comme « un véritable accélérateur », ajoute Pierre Rabadan qui évoque l’amélioration de la qualité de l’eau, des voies cyclables ou encore les changements en cours sur les fonctionnalités du périphérique parisien. Dans la même veine, souligne Olivier Jamey, il est grand temps d’accélérer le chantier de la multimodalité ou encore celui de la polyvalence des bateaux, à la fois sur le fret et le transport de passagers, que la réglementation actuelle ne permet toujours pas.

Une dynamique commune des métropoles

Sur le terrain des coopérations territoriales, la dynamique engagée en 2021 par la ville de Paris, la métropole Rouen Normandie, Le Havre Seine métropole et la métropole du Grand Paris (MGP) est « unique en France », aime à répéter le maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol. « La conjugaison d’une vision stratégique et d’une vision politique », ajoute le 1er adjoint à la maire de Paris, Emmanuel Grégoire qui souligne « la cohérence de cet ensemble qui nous permet d’entrer dans la compétition mondiale ». Celle des grandes mégalopoles disposant d’une ouverture sur la mer. Depuis le lancement de l’appel à projets « Réinventer la Seine », de l’eau a coulé sous les ponts et aujourd’hui c’est une société d’économie mixte (SEM Axe Seine énergies) destinée à financer des projets dans le domaine des énergies renouvelables, qui se dessine. « Le fleuve n’a pas la place, l’attention qu’il mérite », regrette le vice-président de Le Havre Seine Métropole, Hubert Dejean de la Batie. Même si, reconnaît-il, une nouvelle dynamique s’est engagée avec la création de l’Entente qui regroupe les métropoles de la vallée de la Seine.

De g. à dr. : Hubert Dejean de la Batie (Le Havre), Emmanuel Grégoire (Paris), Jean-Michel Genestier (Grand Paris) et Nicolas Mayer-Rossignol (Rouen). © Jgp

Mais beaucoup reste à faire : sur la question du fret fluvial où « il faut encore convaincre les chargeurs que ce n’est pas compliqué d’aller sur le fleuve », explique Jean-Michel Genestier, le conseiller délégué à la logistique de la MGP, ou peut-être plus encore sur celle des mobilités et du train ! « Un vrai sujet, insiste le maire de Rouen, car nous n’avons pas une infrastructure au niveau de la vision stratégique que nous portons.»

L’Axe Seine, terre d’avenir pour l’hydrogène ?

Premier territoire consommateur d’hydrogène en France, la Vallée de la Seine accueillera en 2025 le plus important électrolyseur au monde sur le site d’Air liquide près de Port-Jérôme (Seine-Maritime). Un projet révélateur d’une dynamique qui s’amorce entre la Normandie et l’Ile-de-France.

Depuis que la France et surtout l’Europe ont adopté en 2020 une stratégie de soutien à la filière hydrogène, les projets émergent en Normandie autour de ce que Jan-Erik Starlander, responsable des relations avec les territoires au sein de France Hydrogène, qualifie de « vecteur énergétique ». Désormais, dans la Vallée de la Seine, premier territoire pour la consommation d’hydrogène industriel, « on n’est plus dans l’expérimentation mais on souhaite accélérer pour changer d’échelle ». A travers le projet EasHyMob, une première ébauche d’un réseau de distribution est née. Récemment en Normandie la région a présenté un premier autocar « retrofité » fonctionnant à l’hydrogène alors que l’Ile-de-France s’intéresse de près à l’usage de l’hydrogène dans les « mobilités intensives » telles que les taxis.

« Personne n’a intérêt à être le premier »

Du côté d’Air Liquide, rappelle Régis Saadi, c’est tout sauf un hasard si l’on a identifié les zones industrialo-portuaires pour développer la filière. La « nécessité de massification » semble évidente, tant sur le plan économique que foncier. « Et les flux longs sont un atout sur la Seine » pour concilier production et besoins. Car c’est bien là le principal écueil au développement de l’hydrogène : les usages. « Car tant que l’on n’a pas les usages, difficile de faire de la production », reconnaît Pierre-Yves Dulac, directeur délégué régional IDF d’Engie. Même si l’opérateur sait aussi anticiper. Lauréat de l’AMI lancé par Haropa, l’énergéticien veut ainsi développer à Gennevilliers une centrale multi énergies qui aura couté la bagatelle de 25 millions d’euros. Et que pour que la boucle soit bouclée, Aujourd’hui, résume le représentant de la direction régionale Ile-de-France d’EDF Sébastien Quenet, « il faut stimuler les industriels pour qu’ils soient prêts à acheter un camions quatre fois plus cher ! » Et dans ce genre de situation, « personne n’a intérêt à être le premier ».

De g. à dr. : Nadjma Ahamada (GRTgaz), Régis Saadi (Air liquide) et Sébastien Quenet (EDF). © Jgp

La massification des usages déterminera donc l’avenir d’une filière qui doit encore structurer son réseau de transport et de stockage, ajoute Nadjma Ahamada, déléguée territoriale Val de Seine chez GRTgaz. Une planification s’impose dès maintenant « pour connecter les zones de production et de consommation ». Et le réseau gazier existant peu jouer son rôle. Vu de RTE, l’opérateur de transport d’électricité, « la production d’hydrogène par électrolyse est d’abord une nouvelle consommation d’électricité », rappelle Nathalie Lemaitre, déléguée régionale Ile-de-France et Normandie. D’où la nécessité de renforcer rapidement des infrastructures réseaux dont les projets de déploiement s’étirent généralement « sur sept ou huit ans ! » et nécessitent du foncier disponible et des investissements lourds. Et pour financer le développement de la filière, l’Ademe est là, rappelle son directeur régional IDF Jérémie Almosni, même si, insiste-t-il, « l’hydrogène reste à un marché de niche ! » L’enjeu, estime le représentant de l’agence de la transition écologique « est de penser en écosystème : aujourd’hui 95 % de l’hydrogène produit l’est à partir d’énergies fossiles et il faudra donc prendre un véritable virage ! »

Les ENR comme moteur de l’indépendance énergétique territoriale

Atteindre la neutralité carbone dans les quelques décennies à venir semble aujourd’hui un défi de taille. La Vallée de la Seine apparaît néanmoins comme un territoire à fort potentiel pour s’engager sur la voie de l’indépendance énergétique.

En publiant en début d’année son rapport sur les « Futurs énergétiques 2050 », l’exploitant du réseau électrique RTE proposait une dizaine de scénarios visant à atteindre la neutralité carbone. Pour sa déléguée régionale IDF et Normandie, Nathalie Lemaître, tous les scénarios indiquent clairement une croissance soutenue de la consommation électrique dans les décennies à venir. « Une réduction globale de la consommation énergétique de 40 % d’ici à 2050 entrainerait une augmentation de la consommation d’électricité de l’ordre de + 35 % ». En Normandie, cite-t-elle en exemple, la production envisagée d’hydrogène et la décarbonation dans son ensemble pourraient faire bondir la consommation d’électricité de près de 60 %. La grande question restant, selon la déléguée régionale de RTE : « par quoi va-t-on remplacer le nucléaire » sachant que plusieurs réacteurs français arrivent en fin de vie ?

Nathalie Lemaître. © Jgp

La solution pourrait venir des énergies renouvelables (ENR), même si Valérie Rai-Punsola, directrice générale du cluster Normandie Energies, rappelle que, sur ce terrain, « nous sommes très en retard et que pour produire de l’hydrogène vert, il faudra une production massive d’ENR ». Seulement 11e région française pour le déploiement du solaire et 10e pour celui de l’éolien terrestre, la Normandie part de loin. Une région où les ENR ne représentent à ce jour que 4 % de la production totale d’électricité… et où il faudrait passer à 20 % dès 2030 ! L’éolien offshore pourrait permettre d’atteindre ces objectifs à condition « d’une prise de conscience » nécessaire et surtout d’une acceptabilité plus soutenue.

Méthanisation : la solution miracle ?

Chez GRDF, on mise davantage sur le gaz vert à travers la méthanisation, comme sur le port de Gennevilliers, explique Florence Mourey, où une unité de traitement des biodéchets devrait permettre à termes d’alimenter des stations de bio-GNV. Toujours du côté des mobilités lourdes, Nathalie Lemaître rappelle que le département de la Seine-Maritime envisage à horizon 2026 de mettre en service trois bacs fonctionnant au biométhane.

A toutes fins utiles, la représentante de TotalEnergies Elisa Coeuru, rappelle qu’avec l’accroissement de la population mondiale attendu et le contexte de crise énergétique globale, « la demande en énergies fossiles a encore de beaux jours devant elle ! », ce qui n’empêche pas le groupe d’accélérer sur les bio-carburants et des bioplastiques.

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